Le souvenir du pardon
Il y a des souvenirs comme ça qui nous imprègnent à jamais. Par exemple, l’impression de paix et de bonheur parfait que m’a donnée la contemplation d’un coucher de soleil à partir de la Rocca Maggiore qui domine la ville d’Assise. J’ai vécu ce moment intense il y a déjà très longtemps, mais il dort en moi et resurgit de temps à autre. C’est lui qui me revient aujourd’hui en exemple pour tenter d’expliquer comment la liturgie de ce mois de juin ravive en nous le souvenir de Pâques. La Pentecôte en donne un dernier éclat. Elle projette la lumière du Ressuscité vers le monde. Et les solennités de la Sainte Trinité et du Saint-Sacrement surtout, qui occupent les dimanches suivants, en récupèrent et distillent les reflets pour qu’ils pénètrent à jamais le temps ordinaire et tout notre être.
La liturgie nous apprend ainsi qui est Dieu. En réalité, son mystère m’échappe. Même si j’ai appris qu’il est Trinité, même si je fais mon signe de croix au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, même si je communie au corps et au sang du Christ, même alors, j’ignorerai ce que Dieu est tant que je ne le laisserai pas devenir en moi ce qu’il est. Et il n’y a pas d’autre chemin pour y parvenir que de m’approprier la demande la plus difficile du Notre Père: «Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons…» Cela exige d’entrer dans la logique de Dieu, d’accueillir son pardon quand un remord me ronge, de permettre à Dieu de faire naître en moi le pardon lorsque je suis prisonnier du face à face stérile avec celui ou celle qui m’a blessé à un point tel que la cicatrice ne se refermera jamais. En un mot, il s’agit de me souvenir tout simplement du pardon.
On peut dire que le souvenir du pardon est à la liturgie et à la vie chrétienne infiniment plus que ce que le souvenir du coucher de soleil d’Assise est à ma vie. Car la lumière du pardon est à la source de la joie pascale, elle est la révélation la plus bouleversante que Dieu a laissée de lui-même à l’humanité. Son souvenir introduit Dieu très concrètement dans notre histoire et il fait entrer celle-ci dans les mœurs de Dieu. Il nous met à l’école de l’Évangile de Dieu qui libère, console, essuie les larmes, brise la haine, ouvre le monde à la lumière du mystère pascal.
Jacques Lison