Que sa paix soit sur vous tous t toutes
Je vais vous conter une histoire : Dieu fasse qu'elle soit belle, longue et se
déroule comme un fil !
Les conseilleurs ne sont pas toujours les payeurs, dit un proverbe, tiré d'un
conte du terroir, relatif à des conseils donnés dans le mauvais sens que je vais
vous raconter. Jadis, en Kabylie , on ne refusait jamais de donner l'aumône à un
mendiant de passage : les mendiants sont toujours des étrangers qui viennent de
loin ; on les nourrit, et si la nuit les surprend on leur offre l'hospitalité.
Dans l'imagerie populaire,les mendiants sont assimilés a des saints qui se
déguisent en mendiants, pour éprouver la générosité des gens.
C'est ainsi qu'une nuit de vent, de pluie, de froid et d'orage en montagne, les
habitants d'une chaumière distinguent à travers le hululement du vent , la voix
plaintive d'un mendiant , qui répétait inlassablement :
« thine rebbi a l'moumnine » ( « La part de Dieu , Ô croyants! ») La famille,
très pauvre s'apprêtait a déguster un couscous d'orge au petit lait ; « ce
mendiant a bien choisi son moment, dit la maîtresse de maison ».Machinalement ,
elle remplit une écuelle et un pot de petit lait, et s'adresse a ses six filles:
- Laquelle d'entre-vous, qui ne craint ni le froid ni le noir, désire lui porter
à manger? Elles se taisent toutes , à l'exception de la cadette qui se porte
volontaire. Elle lui remet les deux ustensiles ,lui ouvre la porte et la laisse
sortir ; la pluie redoublait d'ardeur, le ciel était plein d'éclairs, le
tonnerre grondait, et le vent soufflait très fort.
Dès que la petite fille met les pieds dehors, elle est happée et soulevée dans
les airs par un énorme oiseau , qui la met sur son dos. Sa famille attendit
quelques instants , mais la cadette ne revint pas. Tout le monde est inquiet ,
peut-être quelque chose est-il arrivé. Bravant les éléments, la mère sortit et
ne trouva que l'écuelle et le pot de lait. Elle poussa un cri et dit : « ma
fille a disparu ! » Tout le monde accourt, père, frères et sœurs ; ils sont tous
inquiets et se demandent ce qui a bien pu se passer. Ils passent la nuit à
chercher et même une partie de la matinée mais pas trace de la petite fille. De
guerre lasse , ils finissent par se rendre a l'évidence : la petite a bel et
bien disparu sans laisser de trace.
L'oiseau nocturne, qui avait enlevé la petite par temps d'orage et de pluie ,
vola une partie de la nuit pour se poser enfin sur une grande maison, entourée
de jardins. La petite fille est étonnée que nulle lumière ne soit allumée,elle
pose la question son kidnappeur qui lui dit:
je dois toujours rester dans l'ombre , personne ne doit voir mes traits ; c'est
un sort qu'on m'a jeté. J'étais un humain ,mais je ne le suis plus! Je le
redeviendrai ,mais je ne sais quand pour le moment. Je dois te dire ceci:
puisque tu est venu me donner à manger, j'ai décidé, si tu le veux, de faire de
toi ma femme, à condition que tu acceptes mes conditions.
_ Quelles sont-elles?
- Durant je ne sais combien de temps , je me glisserai à côté de toi, mais tu
n'auras pas le droit de voir mon visage ; tu me sentiras ,mais tu me verras pas
! quand tu seras seule ,tu peux allumer la lampe à huile, que tu devras éteindre
dès que tu sentiras ma présence qui se manifestera par une légère brise qui fera
bouger les tentures et rafraîchira l'atmosphère. Il m'arrivera de m'absenter
durant des longs moments. Pour ne pas t'ennuyer , prends cette bague magique
qu'il suffira de tourner autour de ton index droit,pour voir apparaître devant
toi les mets de ton choix.La petite fille se plaît a cette vie : il lui suffit
de tourner sa bague pour avoir tout ce qu'elle désire… enfin presque ! Elle ne
manque de rien. Les années passent sans qu'elle se rende compte. A l'âge de 18
ans elle n'a pas encore d'enfants. l'ennui commence a la gagner.elle se sent
trop seule. Même le visage de son mari, elle ne l'a jamais vu. Elle pense à sa
famille , dont elle na pas de nouvelle depuis des années.
Ses parents sont-ils morts et enterrés? Ses frères et soeurs sont-ils mariés?
l'ont-ils oublié? Au fur et à mesure qu'elle prend conscience de son état, la
nostalgie la gagne à grand pas. Elle devient triste et apathique et se met a
pleurer à chaudes larmes. Dès qu'elle sent la présence de son fantôme de mari
elle s'essuie les yeux et n'ose lui dire un mot. Un soir , alors qu'elle se
trouvait à ses côtés ,ne pouvant contenir son immense chagrin , elle éclata en
sanglots. Intrigué,son mari lui demande pourquoi elle pleure toujours ainsi ; il
lui dit : « tu ne manques de rien dans ma maison ; alors il n'y a pas de raison
pour que tu pleures ;tu es entourée de beaucoup de richesses, alors que d'autres
filles telles que toi sont dans la détresse,la tristesse et la misère sans
cesse.
La fille lui dit: tu as raison je ne manque de rien sur le plan matériel, mais
sur le plan affectif je manque de tout. Je ne t'ai pas vu et ça fait une
éternité que je n'ai pas vu les miens, qui doivent toujours se morfondre de
chagrin depuis que tu m'as enlevée!
et que veux-tu faire pour y remédier?
Je désire que tu m'emmènes une nuit chez ma famille : je t'en supplie....
Le mari fantôme avait pensé la ramener chez elle , une fois que le sort , qu'on
lui a jeté serait anéanti, mais il dure encore, malgré le passage de nombreuses
années. Il essaye de la dissuader de son projet , en lui disant de calmer son
impatience et son immense envie de vouloir retourner chez ses parents en ce
moment ; pour la consoler et réfréner ses ardeurs, il lui demande encore
d'attendre quelque temps, peut-être qu'il sera désensorcelé , et qu'il
redeviendra l'homme qu'il a été ; mais devant son insistance et son
intransigeance ,il cède a ses désirs.il attend une nuit d'éclairs et d'orage et
prend sa femme sur son dos ; après des heures de voyage dans l'obscurité , il la
dépose furtivement à l'endroit même ou, il y a de nombreuses années ,il l'avait
enlevée. Dès quelle tape a la porte, calée de l'intérieur, on lui demande qui
elle est ! c'est moi, votre fille ! ouvrez !
Le père , le premier à l'entendre, se réveille en sursaut ; il croit rêver, mais
l'appel se fait de plus en plus fort : c'est bien la réalité , une voix féminine
est en train de lui dire qu'elle est sa fille ; il réveille tout le monde .
Dès que la porte est ouverte, la famille réunie resta bouche bée : sur le seuil
se tenait une jolie fille, habillée comme une princesse. Ils reconnaissent en
elle leur fille et leur soeur dont les traits ont embelli. Ils font cercle
autour d'elle et lui demandent à brûle-pourpoint, ce qui lui est arrivé ,cette
fameuse nuit , où elle est sortie pour donner à manger au mendiant, qui les
avait sollicités.
« Le mendiant m'a enlevée par la voie des airs ,et m'a amenée chez lui, très,
très loin d'ici , et m'a épousée. C'est quelqu'un de très riche,qui possède une
très grande maison ,entourée de jardins ou poussent toutes les essences , et des
fruits qu'on peut cueillir en toute saison. »
« Tu vis dans un paradis, ma fille dit sa mère rayonnante de bonheur, alors que
nous croyions que tu étais morte depuis des années. Nous voudrions connaître ton
mari! Pourquoi n'a-t-il pas voulu se montrer?
« C'est une longue histoire à raconter,mais pour le moment , je suis très
fatiguée et je veux me reposer. » Elle disait cela uniquement pour éviter qu'on
lui pose d'autres questions au sujet de son mari.
Le lendemain matin au réveil, elle est de nouveau entourée.elle apprend à sa
famille que son séjour ne durera qu'un mois lunaire ; elle veut profiter de sa
famille ; elle parle et pose des questions durant des heures, elle répond aux
leurs, mais élude savamment celles relatives à son mari ; mais elle a beau
esquiver le sujet , un jour ses soeurs l'acculent et lui disent en choeur:
« On en a marre des splendeurs de ta demeure, ce qui nous intéresse pour l'heure
,c'est de savoir comment est ton mari? est-il beau ? est-il grand ? est-il petit
? est -il noir ? est-il blanc? C' est ce que veulent savoir tes soeurs
maintenant! » La cadette, acculée, assaillie, éclate en sanglots et leur dit : «
je n'ai jamais vu les traits de mon mari! »-« tu te moques de nous, petite soeur
! ne raconte pas d'ineptie ! Une femme qui ne connaît pas le visage de son mari
c'est du jamais vu! » Devant l'incompréhension de ses soeurs, elle les intrigue
plus encore,en leur disant qu'un accord était conclu entre elle et son mari
,afin qu'elle ne cherche jamais à voir ses traits tant qu'il serait envoûté.
« Naïve que tu es d'accepter un tel marché! une femme doit connaître le visage
de son mari ; c'est la moindre des choses, petite endormie ! pour voir ses
traits,nous te conseillons ceci : allume une lampe à huile que tu dissimuleras
dans un ustensile que tu recouvriras et mettras près de ton lit. Dès qu'il
viendra se coucher, dévoile la lampe , et là tu verras son visage. »
Pendant qu'elle écoutait l'aînée de ses soeurs lui faire des recommandations
elle vit soudain les traits de son mari , un sixième sens l'avait avertie.
L'âne et la brebis qui était dans la petite écurie familiale lui disent ceci:
« la famille sera la cause de ton malheur ».
Le temps imparti titre a sa fin , et un soir d'éclairs, de vent et d'orage ,
l'oiseau revient ; arrivé devant la demeure où se trouve sa femme ,il se met à
entonner:
« la part de Dieu, 0 croyants ! »
Elle sort comme la première fois ,elle est happée dans les airs ; le voyage dans
les ténèbres dure plusieurs heures ; ils arrivent chez eux aux aurores. Son mari
la dépose dans sa chambre,et quitte les lieux, avant qu'il ne fasse jour. La
jeune femme est très troublée ; elle est désormais partagée entre le sentiment
de rompre le serment qui la lie à son mari , et le désir dévorant de connaître
le visage de celui qui partage sa couche ,sans jamais l'avoir vu.
L'avertissement de l'âne et des deux brebis ne suffit pas à la persuader de
renoncer au maudit projet , qui ne peut que lui causer des ennuis ; le pour et
le contre s'entremêlent dans sa tête ; finalement ,poussée par la curiosité ,
elle suit les conseils de ses soeurs. Comme son mari ne rentre pas toutes les
nuits, elle allume la lampe a l'huile et la laisse brûler. Au moment ou il
rentrera ,elle enlèvera le tissu qui la dissimule dans un volumineux ustensile
et elle verra le visage de son mari dans lueur de la lumière.
Le piège est en place , mais il est éventé par le mari. La brise, qui d'habitude
l'annonce se transforme en vent furieux, qui éteint tout. Pris d'une violente
colère , le mari dépité et déçu lui dit rageur:
« Tu n'as pas écouté les paroles des animaux ,tu as préféré écouter les paroles
de tes sœurs ; en les écoutant, tu as fait ton malheur ! »
Comprenant un peu tard , qu'elle vient de faire une erreur fatale,elle se met à
se lamenter, à pleurer et à supplier ; mais l'aventure était bel et bien finie :
la trahison a un prix. !
L'empoignant de ses mains, il ne la met pas dans son dos pour la ramener chez
elle , mais la met sous son corps, et fend les airs en pleine nuit . quand il
arrive devant la porte de celle qui ,il y a seulement quelques instants était sa
femme, il la dépose comme un vulgaire ballot et prend le chemin du retour. A ses
cris désespérés apportés par le vent, sa famille qui dormait sort au dehors,
constate de visu que celle qui leur avait rendu visite en habits d'apparat,
n'avait pas le même éclat.
Après avoir vécu un conte merveilleux , qui aurait pu se prolonger , si elle
avait attendu la fin de l'envoûtement ,la jeune femme , qui avait écouté ses
soeurs , par son manque de discernement , a sombré dans le malheur.
Retournée chez elle , elle voit mourir un à un ses parents ; ses soeurs se
marièrent et la laissèrent seule a la maison.
Elle reçut de nombreuses propositions de mariage,mais ne répondit à aucune.
Elle est tout le temps aux aguets ,surtout par temps de nuages,de pluie, d'orage
et de vent. Elle attend le mendiant qui viendrait devant sa porte lui dire : «
la part de Dieu, ô croyant ! » …mais le mendiant ne viendra jamais !
( Mes contes ne se terminent pas comme ne se terminent le blé et l'orge ;le jour
des fêtes nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu'à avoir des pommettes
rouges et saillantes)
….à une prochaine fois !
QDVB MOUSSA[img]
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